Décidément, l’année 2020 n’a pas été comme les autres. A cause du port du masque obligatoire pour combattre l’épidémie du Covid-19, j’avais dû me précipiter vers l’achat de masques jetables. Face à une pénurie en magasin, je me suis tourné vers la plateforme américaine n°1 du e-Commerce en France.
Pour faire mon choix, je me suis fié au moteur de recherche du site, au descriptif produit et aux évaluations clients, nombreuses et bien notées. J’achète un lot de « Masque Chirurgical Jetable Livraison Rapide France – Masque Protection Facial 3 Plis » proposé par un vendeur tiers. L’expérience client sur la commande est satisfaisante et je reçois ma commande dans les délais annoncés en point de retrait dans leur « locker » jaune. Je pensais pouvoir partir en vacances serein. Erreur !
Voici mon récit …
A l’ouverture du colis, je constate que le produit porte une mention en anglais indiquant qu’il n’est pas destiné à un usage médical. D’après l’instruction interministérielle N° DGT/DGS/DGCCRF/DGDDI/2020/63 du 23 avril 2020, les masques dits « chirurgicaux» sont des dispositifs médicaux qui doivent protéger de l’environnement, tout particulièrement l’environnement médical (humain et matériel).
Au déballage des masques, leur odeur, leur aspect et un test rapide me font penser qu’ils ne correspondent pas à la description du site d’e-Commerce de Seattle et qu’ils ne me protègeront pas de la Covid-19. Je laisse un avis sur le site du vendeur sur la plateforme et constate que les commentaires clients sont devenus critiques sans pour autant affecter la note globale.
Après une recherche laborieuse sur le site, je contacte le service client par téléphone pour demander, en sus du remboursement, que la plateforme agisse pour faire retirer ces produits. La téléconseillère me propose de rembourser mon achat sous réserve de le retourner à leurs frais depuis un point relais qui imprimera l’étiquette retour. Quant à la demande de retrait du produit, elle m’indique avoir prévenu le service responsable des relations avec les vendeurs, sans néanmoins m’indiquer quelle action sera entreprise. Quelques jours plus tard, je vois que les produits sont toujours en vente mais que la description du produit et le prix ont été changés. Le mésusage d’un masque n’est pourtant pas sans risque sanitaire.
La compliance, un aspect essentiel encore négligé par le eCommerce en Europe
Il est primordial pour une marque que le descriptif du produit, sa présentation et son intitulé soient conformes à la réglementation et n’induisent pas le consommateur en erreur. De ce fait, la réponse apportée par le service client ne me satisfait pas. Je m’interroge alors sur la responsabilité du site d’e-Commerce américain en tant qu’hébergeur au regard de mon expérience auprès des grandes plateformes d’eCommerce chinoises.
Depuis 2018, la loi chinoise tient les plateformes d’e-Commerce pour responsables en cas de vente de produits frauduleux par des vendeurs tiers sur leurs sites. Ces dernières sont donc en pointe dans la lutte contre la vente de produits non autorisés par les propriétaires de leur marque, la vente de produits contrefaits, sur le respect de la conformité à la législation locale et sur le respect de la propriété intellectuelle.
Les grands sites marchands chinois avec lesquels j’ai travaillés, tels que JD.com ou Tmall.hk (Alibaba), exigent et s’assurent que les vendeurs disposent des autorisations nécessaires : autorisation de distribution du propriétaire de la marque, marques (logo, nom, etc.) déposées, produits authentiques et qui répondent aux exigences réglementaires.
Ce faisant, ces plateformes rassurent le consommateur en garantissant l’authenticité des produits et renforcent leur crédibilité. La création d’une marketplace implique donc également de gérer les aspects liés à la propriété intellectuelle, les aspects contractuels, les aspects réglementaires et de rendre ces informations accessibles aux consommateurs sur les plateformes.
La protection du consommateur, une question de plus en plus pressante
Pour revenir à la France et à mon litige, comment puis-je faire valoir mes droits ?
Les sites hébergeurs sont soumis à un régime de responsabilité dit « allégé » mais ont l’obligation de retirer des contenus illicites dès lors qu’ils en ont connaissance[1]. La responsabilité des plateformes en ligne vis-à-vis des transactions réalisées par leur intermédiaire est laissée à l’interprétation de la justice afin de savoir si les plateformes doivent être considérées comme des éditeurs de contenus ou de simples hébergeurs. Je n’envisage pas d’instruire une action contre le mastodonte Américain ou contre le vendeur, à la fois du fait de l’incertitude juridique, du faible montant du litige et de mes limites financières.
Heureusement, la Commission Européenne garantit la protection des consommateurs de l’Union Européenne et met à leur disposition une plateforme de règlement des litiges en ligne (ODR). Les professionnels de la vente en ligne sont tenus de recourir à un arbitrage alternatif pour résoudre des litiges avec les consommateurs. Ils doivent informer ces derniers de l’existence de la plateforme ODR et de la possibilité d’y recourir pour régler leurs différends et fournir un lien vers la plateforme ODR depuis leur site internet. Ces informations doivent figurer, le cas échéant, dans les conditions générales de vente et de service en ligne.
Gageons que la plateforme répondra au litige que j’ai instruit sur la plateforme dans le délai imparti de 70 jours…
L’importance du choix d’une plateforme adaptée à sa stratégie eCommerce
Toujours à la recherche de masques, je tombe sur un article parlant de l’adaptation d’une entreprise industrielle toulousaine de pièces mécaniques qui, pour faire face à la crise du secteur aéronautique, a converti sa production à la fabrication de masques FFP2 et investi massivement dans ce nouveau secteur. On peut présumer qu’en tant qu’équipementier aéronautique avec une forte culture technique, leurs produits sont conformes aux normes européennes et que leur production située en France respecte les contraintes réglementaires en matière de droit du travail et protection de l’environnement. Néanmoins, leur produit que je retrouve sur la même marketplace généraliste est en concurrence directe avec les produits chinois non conformes que j’ai achetés.
Est-ce que le choix de cette marketplace est le meilleur choix pour commercialiser un produit offrant de sérieuses garanties d’efficacité ? Comment faire ressortir la qualité, le sérieux, l’origine du produit quand les critères de choix sur ces plateformes généralistes sont le prix, la disponibilité et des commentaires de clients forcément subjectifs ? Le choix d’un site e-Commerce spécialisé proposant des fournitures médicales par exemple, ou toute plateforme permettant de mettre en avant la technicité du produit aurait été plus judicieux.
L’importance du pricing dans une logique d’omnicanalité
Malheureusement pour moi, je n’ai pas pu tester le produit Made in France car, victime de son succès, celui-ci est très vite devenu indisponible sur la marketplace. Or, les coûts de fonctionnement des plateformes marchandes tels qu’Alibaba ou Amazon sont très élevés et obscurs. Outre les frais liés à l’ouverture d’une marketplace et aux frais fixes de gestion, s’ajoutent les commissions sur les ventes, les frais de référencement et d’animation, la logistique eCommerce et la gestion des retours. De plus, le vendeur est responsable de la gestion de la relation client portant sur « le prix, les réductions, les informations sur les produits, la disponibilité, le support technique, l’émission de factures de TVA le cas échéant, les fonctionnalités et les garanties [2] ».
Si se retrouver en rupture de stock sur son site marchand est gratifiant, l’analyse de la rentabilité est souvent plus timorée. Seuls 53% des sites marchands des TPE/PME sont rentables et 30% sont à l’équilibre selon les chiffres de la FEVAD [3].
Ainsi, la construction tarifaire sur une marketplace est difficile à appréhender. D’autant plus si les coûts d’exploitation sont mal maîtrisés et les prix du marché peu connus.
La maîtrise opérationnelle, aspect essentiel de la rentabilité du eCommerce
Le prix public affiché sur un site marchand ne doit pas tenir compte du seul objectif de marge brute du site marchand, mais de l’objectif de marge brute globale quel que soit le canal de distribution. Ainsi, si nos masques « Made in France » étaient vendues dans un réseau physique de pharmacie par exemple, il faudrait tenir compte des agrégats de marges des différents intermédiaires : grossistes répartiteurs, centrales d’achat de matériel médical et points de vente en pharmacies ou parapharmacies.
L’analyse de la supply chain, des canaux de distribution physique et des seuils de rentabilité sont un préalable à toute fixation de prix. Même une marque purement digitale (DNBV) doit tenir compte des limites de la seule vente en ligne et anticiper le moment où sa croissance l’attirera vers une distribution en réseau physique. Il faut ainsi s’assurer que sa politique tarifaire soit homogène quel que soit le canal de distribution et prévoir des solutions de gestion de tarification multiples (multi-tarifs, Remises et Promotions, tarifs BtoB, etc.). Mais, une fois publié sur une marketplace, peut-on réviser son tarif ?
La supply chain, la pierre angulaire du e–Commerce
La disponibilité produit est une information indispensable aussi bien pour les marques que pour les sites d’e-Commerce. L’indisponibilité des masques de l’entreprise toulousaine sur la marketplace, montre que la maîtrise de la logistique est un facteur crucial de la rentabilité du e–Commerce. Les articles commandés sont répertoriés dans les bases de données des entrepôts et doivent être mises à jour régulièrement, synchronisées et partageables en temps réel entre différents canaux de distribution et plateformes. Ces bases de données doivent permettre de croiser l’état des stocks et analyser les rotations pour notamment prévenir les ruptures.
En outre, le nombre d’articles commandés, ou profondeur de commande, va avoir un impact sur le processus et les coûts logistiques. La maîtrise du panier moyen, soit le montant moyen dépensé par transaction chez un eMarchand, est indispensable. En ne proposant sur la marketplace américaine, pour seule référence des masques chirurgicaux, le consommateur n’est pas tenté d’acheter plus d’une boîte, sauf à intégrer une dynamique commerciale de remise ou d’offre de frais de transport, ou d’associer son produit à des références proposées par d’autres vendeurs du site marchand.
Ces mécaniques de Remise-Offre-Promotion coûtent cher, notamment le fait d’« offrir les frais de transport ». La définition d’un panier moyen pivot à atteindre par commande, en valeur ou au nombre d’articles, est une étape stratégique pour faire baisser la part des frais de transport. En cela, il faut construire une vraie stratégie de livraison et de gestion des retours : optimisation de l’emballage, optimisation des frais de livraison, mode de livraison, click&collect, point de collecte, offre des frais de port, suivi de la livraison, gestion des retours.
La Logistic as a Service (LaaS), une opportunité pour le vendeur PME
Les marques et plateformes d’e-Commerce cherchent toutes à satisfaire l’attente du client : d’une expérience d’achat fluide et intuitive. Mais, dans un parcours d’achat sur internet, on oublie souvent que le seul contact humain avec le consommateur est le livreur. Selon une étude IFOP de 2016, 96% des clients recommanderont un produit si la livraison s’est bien déroulée. C’est donc une étape essentielle. On pourra s’orienter vers des solutions de prestations logistiques et de transports qui s’adaptent à sa supply chain, pallient les ruptures de charges et de flux d’informations et offrent des solutions de Logistic As A Service. Afin de déterminer le choix d’un prestataire logistique, il faut donc être à même d’auditer et d’évaluer l’organisation logistique de l’entreprise et les attentes client.
Si les éléments de l’Expérience Client digitale sont souvent connus (UX, Design, Data, parcours client sans couture, omnicanalité etc.), on néglige trop souvent d’y inclure les aspects opérationnels : supply chain, compliance, propriété intellectuelle, pricing, gestion des retours, etc. Ainsi notre entreprise toulousaine, qui a fait un investissement conséquent dans la production de masques, aurait probablement amélioré sa marge en choisissant un canal de vente adapté à la technicité et à la qualité du produit.
Offre groupée et partenariat… attention au maillon faible
Je n’ai donc toujours pas de masques et pour compléter les péripéties de 2020, je suis victime d’un bris de glace. Ne pouvant prendre la route des vacances en l’état, je consulte l’application mobile de mon assurance et trouve un prestataire partenaire à proximité : le leader du remplacement de pare-brise.
L’accueil en agence est rapide. La prestation de service est excellente, conforme de bout en bout à la célèbre communication de l’entreprise : accueil, service, personnel, délais de réparation, tarifs, administratif. Ma satisfaction client est très élevée et je recommanderai cette société avec enthousiasme. Comme souvent, cette célèbre marque propose à ses clients une promotion liée à un partenaire tiers. Dans mon cas, l’offre porte sur un badge autoroutier.
Le responsable d’agence me présente l’offre et m’indique que, sous réserve de mon consentement (car RGPD oblige), je vais recevoir un code d’activation par SMS. J’ai déjà vu l’offre par les publicités TV, en ligne et elle est relayée par une PLV en agence. Cela implique donc un budget communication important et, comme souvent, le nom du partenaire est mis en avant. En attendant mon code d’activation, je consulte les conditions détaillées sur le site internet du porteur de l’offre qui montre une photo du badge où l’on voit la marque du produit partenaire, et une présentation de cette marque. Cette offre m’intéresse, je dois justement partir en vacances par autoroute la semaine suivante.
Le service client, le dernier recours
A la réception du code d’activation, je suis renvoyé vers le site mobile du partenaire par un lien intégré au sms. Le détail de l’offre comporte trois promesses clients dont une impliquant la livraison : le badge « livré chez [moi] gratuitement en 48h ». Après avoir complété mon dossier d’adhésion, je reçois plusieurs courriels du service client du partenaire autoroutier qui m’informe à chaque étape de l’avancement de ma commande. Un dernier courriel m’indique que ma commande est remise au prestataire de transport bien au-delà des 48h depuis l’activation de mon dossier. On a déjà dépassé la promesse client initiale, sans compter le délai de livraison. Je vérifie dans les CGV présentes sur les sites du porteur de l’offre et du partenaire, s’il a une mention « sous réserve des délais du transporteur ». Il n’y en a pas ! J’espère recevoir mon badge avant mon départ.
Le courriel du service client comporte un lien de suivi du colis qui me renvoie vers le site du prestataire de la livraison, le leader historique du secteur. Mon colis leur est inconnu ! Ainsi, l’email automation semble avoir été paramétré pour être envoyé dès la remise au transporteur sans tenir compte du délai nécessaire au prestataire pour l’enregistrer dans sa base de données lors de l’entrée en entrepôt. Quelques jours plus tard, le statut du colis est en livraison sans plus de précision. Je sais qu’à ce stade il est inutile de contacter le service client. Je commence à envisager mes vacances sans le précieux sésame coupe file. Le colis arrive heureusement sept jours après le premier email du service client m’informant de la préparation de ma commande. Loin de la promesse client de 48H. Comment deux entreprises fiables ont-elles pu remettre en question ma confiance client ?
J’imagine la complexité qu’a pu être la construction de l’offre entre les deux partenaires : les contrats, l’implication des métiers, la gestion de marques, etc. Auraient-t-ils pu tenir leur engagement ? Avec un audit de la supply chain et le choix d’une solution incluant la Logistique as a Service, sans aucun doute.
Par curiosité professionnelle, je contacte le service client du concessionnaire d’autoroute. Bonne surprise, j’obtiens trois mois d’abonnement gratuit. Ma satisfaction client étant restaurée par ce geste commercial et, après un arrêt en pharmacie pour acheter des masques en tissus, je peux partir en vacances.
Même si je comprends la complexité d’une telle opération, restaurer ma satisfaction client aura été une source de coûts (trois mois offerts).
Tenir sa promesse
Si in fine mes vacances se sont bien déroulées, elles ont été propices à tirer les enseignements des six premiers mois de 2020. La crise de la Covid-19 a été un accélérateur de la digitalisation des processus de vente et l’illustration d’une problématique qui s’accentue : tenir la promesse client est de plus en plus complexe. Comme le montrent mes exemples, l’excellence opérationnelle est indispensable à la tenue de cette promesse : mettre à disposition du consommateur des informations fiables et pertinentes pour sa décision d’achat, choisir des canaux de distribution cohérents et adaptés à l’offre, construire des partenariats solides et alignés en termes de niveau d’engagement, et surtout maîtriser la supply chain. La moindre carence dans la maîtrise opérationnelle engendre des coûts (acquisition, service consommateur, retour marchandise etc.), un risque d’insatisfaction et la perte de la fidélité client. Ainsi, la construction de l’excellence opérationnelle de son site e-Commerce se doit d’être réfléchie en amont de la commercialisation d’un produit pour s’assurer de tenir la promesse client.
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